Notes sur un festival



« Vous n’auriez jamais pu faire cela sans amour. » Voilà ce que m’a dit l’autre jour un responsable culturel de la capitale. J’ai été touché par la sincérité du propos, complice de ma pensée. Cela m’a réchauffé le cœur. J’avais envie d’y croire. Je le croyais. C’était la vérité.
Déjà trois ans que nous oeuvrons ici,à la réalisation d’un projet qui concerne en premier lieu les sénégalais,puis l’Afrique et,au-delà,aspire à toucher la terre toute entière.(Qui voudrait,de nos jours,ignorer les méfaits de l’esclavage ?)Un projet dont l’enjeu est la mémoire et sa transmission, qui nous sont aussi importants, que l’est l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, à la seule condition d’en avoir conscience.
Honore père et mère…L’on ne doit pas méconnaître ce qu’à vécu grand’père .Chaque peuple, chaque génération a son histoire et il la porte en lui ; elle émane de lui, non pas en sourdine, mais par la parole et par la geste, par la musique et par la poésie. Il faudrait ériger les statues non pas aux conquérants, mais à ceux qui réellement montrent la voie, les philosophes et les poètes.
L’Afrique vogue sur une grande vague d’espérance qui n’est nulle part aussi visible qu’elle l’est ici. (Au diable les pirogues du désespoir !)Est-elle issue de la terre ? Est-elle un don du ciel ? Qui peut le dire ? L’humain est ici omniprésent. Les ancêtres aussi.
« Tu chercheras le flocon de neige au cœur du feu, » disent les bouddhistes. Fi aux faux miroirs de l’Occident. Ta place est ici, chez toi !
Mon projet  a lentement mûri dans ma tête,alors que je cherchais par tous les moyens à exprimer les sentiments que j’éprouve pour l’Afrique,qui remontent très loin dans le temps et qui n’ont rien à voir avec une logique quelconque. Depuis toujours, j’ai considéré le monde noir tout proche de moi, familier intime.
 Les uns veulent réussir. Les autres veulent devenir. Il y a beaucoup de laissés-pour-compte. Moi qui ai toujours été étranger partout, je me sens chez moi au Sénégal. Bien sûr, la misère y est aussi dure que le marteau du forgeron. Bien sûr, le peuple attend des messages d’en haut qui ne viennent toujours pas Quel Messie saura remplir ce vide ? Le désespoir est grand. Mais la vitalité du peuple, sa foi aussi. La colonisation a laissé ses traces. La bureaucratie frôle l’insensé. Mais la chaleur humaine est partout.

Les couleurs sont riches. Les rythmes et les chants aussi. On vit au milieu des moutons, dans la poussière, et on aime cela. On aime la capacité d’improvisation du peuple, ses singularités, ses coutumes ancestrales, sa générosité, sa spontanéité.
On vit un autre temps .Celui du présent, toujours imminent. On a faim ici, ce qui est insensé de nos jours. On voudrait se débarrasser des rapaces. Des promesses vides de sens. On voudrait le bonheur pour chacun. Que chacun reçoive sa part de vie comme un don, une bénédiction non pas une contrainte, un cauchemar.
Les enfants savent cela. Les adultes l’ont déjà oublié.
Monter un Festival à Dakar n’est pas une mince affaire Cela demande beaucoup d’énergie et de  témérité, de combativité, contre les mauvais esprits. Un festival du conte, alors que la parole, la vraie, a du mal à se faire entendre, alors que les musiques traditionnelles deviennent confidentielles, alors que le tambour et le danseur, sont relégués au rang des arts mineurs, alors que partout triomphe la vulgarité, et que se fait de plus en plus violente la nouvelle barbarie : celle de la faim.
Et pourtant,trois jours durant,à Gorée,et depuis cette année,cinq jours à Dakar,nous accueillons tous ces porteurs de la mémoire,les griots,les danseurs,les musiciens,les conteurs. Ils sont  près de deux cents
 en tout. Ils s’expriment avec plaisir. Ils savent ce qu’ils savent, et parfois ils ne le savent même pas Parfois, ce qu’ils disent vient de sphères ignorées par eux-mêmes. C’est la magie de l’art, sa force, sa grandeur L’art qui dépasse l’homme.
Il est  difficile de mesurer sur le moment l’impact d’un événement nouveau. Nous savons aujourd’hui que le Festival International du Conte et de la Parole est venu combler un vide ici. Cela se mesure à la réaction des gens Car de toutes parts, le commentaire est le même : nous n’avons jamais vu un événement pareil ici. Cette chose unique qu’est notre Festival, nous vous l’offrons, cher lecteur. Venez y voir.

Ben ZIMET
Directeur du Festival
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